Ali Silem - peintre
ALI SILEM
La peinture d’Ali Silem interroge l’européen que je suis car elle est à la fois d’une autre culture et de la mienne. Je sens que la même source est à l’origine mais que le parcours est influencé par la géographie et les civilisations. Je suis devant une peinture dont je ne connais pas toutes les arcanes et qui pourtant me touche profondément, comme si, par-delà les différences je partageais les vibrations communes de sa naissance. Je suis devant une étrangeté, non pas inquiétante, mais « un sentiment anhistorique et fondamentalement asocial de la suprême étrangeté universelle » (Eugène Ionesco - Journal en miettes 1967)
Dans la peinture d’Ali Silem l’écriture n’est jamais loin. Sous-jacente ou exprimée, elle s’inscrit à la fois symboliquement et formellement lorsqu’elle est utilisée comme élément plastique. Cette écriture née peut-être de la calligraphie arabe ou nabatéenne, ou plutôt de la tradition berbère, est un outil et non pas un langage. Ajoutons que l’architecture et le tissage font partie des fondements de ses recherches picturales. Les toiles qu’il invente sont remplies des traces d’un cheminement mental. Cette pensée est déployée dans des compositions structurées de lignes verticales et horizontales : constructions méditatives, où la figuration s’inscrit en filigrane. Parfois le peintre provoque le déséquilibre par des obliques, pentues comme des sentiers qu’il faudrait escalader pour se dégager de la pesanteur. Toutes ces recherches inspirent chez celui qui regarde, un basculement des sens, une perception complexe propice à l’évasion.
Le peintre a une boulimie de couleur et il aime saturer la surface de la toile. Il multiplie les images, les entremêle jusqu’à les transformer en signes ornementaux. Il complète ce tissu principal par des prolongements plus figuratifs, faisant référence à des stèles funéraires ou des pieux sculptés, en introduisant des effets de tissages ou des collages, en utilisant des broderies comme pochoirs. Ces juxtapositions produisent un foisonnement de traces qui paraissent animées de l’intérieur, et leur mouvement entraîne le spectateur à travers les dédales d’un domaine avec, semble-t-il, l’intention non pas qu’il perde le contact mais qu’il trouve la porte d’une certaine spiritualité.
Ali Silem est influencé par les mythes, les religions, les légendes. Il fusionne dans ses peintures les rythmes africains, l’artisanat berbère, les crucifixions, les totems ou les étendards. Il s’imprègne aussi des œuvres d’artistes qu’il aime et qui lui ont ouvert le chemin. Il cite notamment Jean-Michel Atlan et Wilfredo Lam. Il apprécie Courbet et Monet, les cubistes et insiste sur la nécessité de ne pas rester dans une peinture figée et classique. Son érudition est proportionnelle à sa curiosité. Il dit qu’il papillonne, se pose nulle part mais emporte le pollen chez lui pour en faire son miel.
Les flammes, la lune, les angles – jaillissements – danse fragmentée d’éléments participant à une chorégraphie colorée. Un feu de lignes obliques parallèles donne une impression d’un voyage aérien. Les oeuvres ont rarement une base solide, marquée, qui les attacherait à la terre. Présence du désert peut-être en arrière-plan. Appel des tambours qu’on entend inconsciemment en restant un moment devant les tableaux qui possèdent une force hypnotique. Car si toute œuvre d’art est chargée de ce pouvoir, il me semble que les peintures d’Ali Silem ont en plus, la capacité de se coaguler, d’unifier ce brouillage apparent. La loi de la plénitude serait-elle à l’œuvre ? Cette occupation de l’espace par la peinture apporte une sorte d’apaisement. On se sent remplis de toute la respiration de l’œuvre.
Les poètes ont pour Ali Silem une grande importance. Il apprécie Kenneth White et sa géopoétique, André Verdet qui est aussi peintre et musicien, la poésie pré-islamique et les poètes contemporains habitant de chaque côté de la Méditerranée. La parole du peintre est dans sa peinture, ses toiles peuvent être lues comme des poèmes.
Ali Silem joue avec ses pinceaux et ses couleurs. Il jubile devant ses toiles, obéit à l’instinct qui ouvre les portes, peint sérieusement sans se prendre au sérieux. Il y a peu de personnages dans les tableaux ou bien ils ne sont qu’esquissé. Le peintre préfère utiliser les symboles et les signes. N’est-il pas associé à cette école de peinture appelée « Ecole du signe » où nous retrouvons les grands artistes de l’autre rive de la Méditerranée ?
Il faut se laisser emporter par la peinture d’Ali Silem et accepter de perdre ses repères pour découvrir des territoires riches en références, en innovations. Parcourir le domaine d’un peintre érudit qui a trouvé l’harmonie entre le plein et le vide, dans une quête réfléchie, organisée, maîtrisée.
Ecrire, peindre
Je ne sais pas où naissent les mots et les couleurs
ils montent de l’inconnu
comme un souffle habité de sons
de lumière
la langue organise les paroles en bouche
le vide se remplit du verbe
est-ce matière ou vibrations ?
quand la chair se met à parler
articulation
rythme
est-ce poussée instinctive
la main en mouvement
ou une création ininterrompue depuis l’origine ?
de quelle source viennent les mots
les couleurs
qui allient la pensée et le corps
trouverons nous un jour
le « Saute Surmad »
la note universelle ?
J. Essirard 12-3-2016